Caducée.
D’après une gravure XVIIe siècle.
Caducée, baguette entrelacée de serpents, la partie supérieure formant un arc étant surmontée de deux ailerons. Elle fut donnée à Mercure par Apollon en échange de sa lyre à sept cordes. Son nom vient de cadere, tomber, parce qu'elle a pour vertu de faire tomber la colère, d'apaiser. La Tradition prétend que les deux serpents représentent Jupiter et Rhéa, qui furent réunis par Mercure après une dispute.
En fait, les deux serpents du caducée procèdent du symbolisme du serpent (voir ce mot) et leur double aspect y ajoute la notion d'androgynat — qui est, on le sait, le fait de Mercure.
Certaines représentations de ce Dieu montrent d'ailleurs un caducée entouré d'un seul serpent enroulé en huit et se mordant la queue — dans lequel on retrouve plus clairement exprimé encore le symbolisme de la Kundalini des Hindous : c'est à la fois la transmutation de la force sexuelle instinctive, l'accession au plan extra-humain (les ailes), le symbole du « pouvoir » (le sceptre), la notion du cycle (le serpent qui se mord la queue) et de l'infinie répétition de ce cycle (le huit, symbole de l'infini, comme en mathématiques).
La matière même du caducée (or) n'est pas surprenante puisque le caducée a été donné par Apollon en échange de la lyre heptacorde. C'est-à-dire aussi que le Dieu aperçoit et juge supérieure au caducée, instrument de réalisation, la lyre qui est l'harmonie réalisée. Le caducée a donc le sens d'un acheminement : c'est un symbole dynamique qui prélude à son pendant statique, l'heptacorde. On voit les correspondances de ce dernier rapprochement dans le vocabulaire des alchimistes (le Mercure et l'Or).
Il est enfin intéressant de faire un parallèle entre l'axe du caducée, réconciliation dans l'androgynat entre Jupiter et Junon, et le Calumet, qui tient une place rituelle légendaire dans des civilisations fort éloignées du monde gréco-latin. Si le calumet de la guerre est blanc et gris (Gémeaux), le calumet de la paix est rouge (ce qui, selon une autre symbolique, est l'or du sang).
Mais en outre, et c'est là que le parallèle devient saisissant : le calumet de la paix est orné de deux plumes d'aigle et entouré de mèches de cheveux de femmes entrelacés, ce qui équivaut rigoureusement aux ailettes du caducée et aux serpents qui l'entourent.
Le caducée aujourd'hui
Le caducée désigne aujourd'hui le médecin ou le pharmacien ; il a tout d'abord orné les boutons uniformes des officiers de santé de la Marine selon l'arrêté du 19 pluviôse an VI (7 février 1798). Mais les traités alchimiques parlent de ce symbole qui figure le mercure philosophique sur le porche central de Notre-Dame de Paris.
Outre la Kabbale, le caducée participe à la puissance cosmique comme la Kundalini, ou “Feu Serpent”, cette énergie qui, éveillée par les exercices du yogi, s'élève sur l'axe de la moelle épinière ; les deux canaux latéraux développent autour du canal central deux spirales entrecroisées sept fois au niveau des sept “chakras”.
Ce trajet des liadis selon le plan de l'épine dorsale se nomme, dans l'Inde, le Brahmadanda ou Bâton de Brahma. La Kundalini, par sa chaleur magique, nous porte sur le sentier de l'éveil, à l'image du Serpent de la connaissance.
Le Serpent et l'Arbre de vie
Car, en dehors du Serpent tentateur, enroulé dans l'arbre
devant une Eve alanguie, comme le représente cet extraordinaire linteau du XIIe siècle du musée Rolin à Autun, ce reptile guérit d'après la tradition chrétienne. Le serpent apparaît dans toutes les religions sans avoir toujours la même signification.
Est-il porteur de la lumière astrale, guide bénéfique ou, au contraire, incarnation du mal ?
Le serpent d'airain conçu par Moïse sous l'inspiration de Dieu figure dans le Livre des Nombres (XXI, 6-9) et dans Saint-Jean (III, 14- 15 ; XII, 32) : celui qui a été piqué par le serpent n'a qu'à regarder le signe de Moïse pour vivre. Ce pouvoir guérisseur du serpent se retrouve non seulement dans le temple de Jérusalem, mais dans les cultes de gnostiques.
Dans la plupart des religions, cet animal sacré représente la vie et les Grecs lui attribuent un pouvoir curatif. Nous n'aborderons pas ici le symbolisme bivalent du serpent, mais le culte de ce reptile s'associe à l'Arbre de vie. Les fouilles d'Epidaure, en Grèce, montrent des pratiques religieuses qui datent du ixe siècle avant notre ère. Elles se nommaient les “asklépicia”, la ville étant consacrée à Asklepios, dont le nom latinisé devint Aesculapius (Esculape). La mortelle Coronis, fille de Phlégyas, roi de Thessalie, séduite par Apollon, mit au monde un enfant qu'elle abandonna ; une chèvre prit soin du futur héros.
Esculape fait boire des remèdes et guérit les patientes ; chirurgien, il sait couper les têtes et les rajuster. L'Iliade d'Harrière nous a rapporté la grande figure de ce héros et ses deux fils Machaon et Podaléiros participent à la guerre de Troie (chants IV, XI). Grecs et Romains associent vers 500 avant J.-C. le culte d'Hygie, déesse de la santé, à celui d'Esculape.
Dans le temple du guérisseur, on élève principalement des serpents qui lèchent et sucent les abcès. Aussi les stèles aux inscriptions élogieuses, les pièces de monnaie figurent le demi-dieu et ses serpents consacrés. Lorsque la peste éclate à Rome (293 avant notre ère), une ambassade rapporte un des serpents sacrés ; celui-ci s'est enroulé autour d'un bâton durant le voyage.
À l'époque de la décadence, Mercure, qui préside au commerce, remplace Hermès dont l'esprit d'interprétation du Verbe est cependant fondamentalement différent.
Les serpents entrelacés
Après la figuration d'un serpent unique apparaît le motif des deux serpents entrelacés ; cette représentation n'est pas nouvelle ; on la retrouve sur le vase de Goudéah, dans des représentations égyptiennes ou encore sur des menhirs.
Ce reptile s'enroule parfois autour d'un manche terminé par un miroir ; le serpent regardé comme le plus prudent des animaux devient ainsi le symbole de la prudence, et le Directoire Exécutif en 1795 adopte cet emblème que l'on retrouve dans les vignettes du grand-juge et ministre de la Justice ; il figure encore actuellement sur le meuble supportant la presse des sceaux de l'État, ainsi que dans les armoiries des sénateurs sous l'Empire.
Emblème de la prudence et de la divination
L'emblème des pharmaciens est proche de celui des médecins : le serpent d'Epidaure entoure le pied d'une vaste coupe dans laquelle il s'abreuve. L'axe central se termine non plus par un miroir, mais par une coupe, un vase sacré qui doit contenir le liquide nourricier offert par la déesse Hygie. On songe au Saint-Graal.
Le caducée peut être aussi envisagé comme l'emblème de divination, comme le signe de paix porté par le roi et les hérauts d'armes, comme le signe de la fécondité ou de la prudence. Ce symbole devient ensuite le signe de la prudence, puisque le bâton a pu séparer et concilier les deux serpents antagonistes, mais ces deux forces ne sont en réalité que complémentaires, puisque le bâton peut tout résoudre par sa rectitude.
Le caducée est un principe d'union ; l'antagonisme des serpents n'est qu'apparent ; ces deux reptiles illustrent la grande loi d'analogie, la correspondance de la table d'Hermès.
Le reptile, debout sur sa queue, enlacé ou non avec sa femelle, évoque la mystique sexuelle, l'union androgyne, celle du Couple divin qui boit son breuvage d'immortalité ; cette sève qui s'élance, unie et féconde se résout comme l'Arbre de vie avec sa force toujours jaillissante et renaissante ; c'est le remède mystérieux, l'eau d'immortalité origine mystique de la médecine. Mais, si ce symbole nous apporte sa source de vie, son éternelle Jouvence, il représente également celui du message.
Le caducée transmet comme le héraut, comme le messager des Dieux, comme le serpent d'airain conçu par Moïse.
Ces deux serpents figurent les deux courants qui constituent l'unité comme l'aspir et l'expir permettent la vie. C'est le mouvement indiscontinu des Etats multiples de l'existence universelle, les deux principes masculin et féminin, la représentation androgyne avec ses deux parties différenciées et non séparées.
Le serpent peut s'enrouler autour de l'Arbre — du monde ou de la science —, il peut se diriger soit vers les états supérieurs, soit vers les états intérieurs ; ces deux aspects, qu'ils soient bénéfiques ou maléfiques, se résolvent toujours en un seul état. La vérité reste une.
Ouvrages à consulter :
Dilleman (G.) : revue “Produits et problèmes pharmaceutiques” (vol. 20, n° 7, n° 9, 1965 ; vol. 21, n° 5, 1966).
Bayard (J.-P.) : le Feu (Paris, Flammarion).
Revue “Aesculape” (n» 4, 1912, n° 12, 1913, nu» 4 et 8, 1914, n° 9, 1924).
Baudoin (M.) : la Préhistoire du caducée (Paris, 1918).
Boulnois : le Caducée et la symbolique dravidienne (Paris, Maisonneuve, 1939).
Résumé de :
Histoire des Personnages Mystérieux & Des Sociétés Secrètes - Sous la direction de Louis Pauwels
Dictionnaire des Sociétés Secrètes en Occident - Sous la direction de Pierre Mariel