L' envoûtement est une pratique magique ayant pour but et pour effet d'atteindre un être humain dans sa santé, dans sa personne, dans ses proches ou dans ses biens.
Il y a un envoûtement d'amour et un envoûtement de haine. C'est généralement de ce dernier qu'on parle quand on emploie le mot envoûtement seul.
Il est inutile d'insister sur les procédés opératoires de l'envoûtement. Tous relèvent de ce principe qu'il existe une participation magique entre un être et le support qu'on y fait correspondre (voir supports d'envoûtement), que l'atteinte du support conditionne l'atteinte de l'être.
Il est plus intéressant de voir quel mécanisme peut expliquer l'envoûtement (s'il existe). Pour répondre d'abord à cette première question, on peut dire qu'il faut nettement distinguer
1°) L'envoûtement en tant que tel — c'est-à-dire acte magique.
2°) Les procédés psychiques qui permettent d'avoir une action à distance sur un être.
1°) L'envoutement comme tel est un procédé magique. Pour nous, n'implique rien à ce point de vue (de vultus, visage) ; conformément à cette étymologie, le mot ne prend pas l'accent circonflexe qu'on lui octroie généralement). Mais la chose s'entend comme une pratique magique, c'est-à-dire une participation par le principe et le nom (voir aux mots Nom et Magie). Il requiert la connaissance, l'intention et la formule et ne s'explique pas en termes mécanismes. Il est donc impossible de formuler une preuve (sinon par l'expérience), mais seulement une opinion, ce qui est sans intérêt puisque cela peut seulement confirmer ceux qui croient déjà et ne rien apporter à ceux qui ne croient pas.
2°) Sur les bases scientifiques de la métapsychique par contre, il est possible de réaliser un dispositif dont l'envoutement de fait est le résultat. Nous prions le lecteur de lire d'abord ce qui est dit de la Télépathie. Les exemples que nous donnons à propos de ce phénomène montrent que si l'on peut extérioriser la sensibilité d'un sujet et la transférer sur un support, tout ce qui est subi par ce support est transmis au sujet.
Dans les conditions les meilleures (sujet en état d'hypnose, support chargé depuis peu de temps, etc...), on peut vérifier qu'une mutilation violente du support déclenche des phénomènes sympathiques chez le sujet — phénomènes pouvant aller du choc général à l'inhibition locale avec ou sans signes trophiques (troubles circulatoires locaux notamment). Cette force d'expérience, qui est à la base de toutes les explications scientifiques données depuis le début du siècle, ne permet pas de réaliser l'action continue et répétée, comme elle a lieu dans la pratique de l'envoutement. Tout laisse penser que l'action continue et répétée sur le support peut entraîner des troubles sympathiques continus et par conséquent justifier des troubles organiques dont les récits d'envoutement font état.
Mais ce n'est pas là le seul mécanisme possible. Il faut incriminer aussi la suggestion à distance. Que la suggestion soit réalisée sans hypnose ou à l'état normal, on sait que le sujet se trouve soumis à l'opérateur. Il lui est soumis dans ses actes, comme maintes expériences le prouvent ; mais il lui est aussi soumis dans ses pensées, notamment par la voie de l'obsession (consciente ou semi-consciente).
Ce sont alors tous les mécanismes auto-suggestifs qui jouent à partir de la représentation mentale, et le résultat physique suit (voir au mot Suggestion). On rapporte de tous côtés que les magiciens du Thibet pratiquent l'envoutement du poignard. Celui-ci consiste à « charger magiquement » un poignard, qu'on laisse ensuite à la portée de la personne envoutée. Cette dernière se suicide immanquablement. Cette pratique s'explique en tout cas par la suggestion à distance de l'obsession du suicide.
Nous voudrions citer un cas personnel d'envoutement involontaire — parce qu'il a été suivi pendant plusieurs mois. Encore qu'il ne corresponde pas au schéma classique de l'envoutement, il comporte une « captation de double » absolument manifeste. En 1946, nous avions vu, à plusieurs reprises, une restauratrice de Paris, curieuse seulement de voyance et à qui nous pûmes décrire sans difficultés les événements de sa vie et la menace d'une maladie proche.
Un long temps s'écoula et nous ne pensions absolument plus à cette personne, quand son mari nous sollicita de la visiter : gravement atteinte d'une affection abdominale, elle pensait qu'après l'avoir prévue et décrite nous aurions le pouvoir de la guérir — ce à quoi nous ne nous consacrons en aucune façon. Bref, après plusieurs invitations et bien du temps, nous nous rendîmes chez cette femme qui, entre temps, s'était plus ou moins remise. Toutefois, en arrivant chez elle, elle nous fit une impression terrible — que ne justifiait absolument pas sa bonne mine retrouvée.
Nous fûmes persuadés qu'elle était en danger de mort par perte progressive de la vitalité — une « atteinte à mort », si l'on veut, encore que cette expression fidèle à notre intuition ne constitue pas un diagnostic. Après coup, nous avons pensé que lors de ce contact, un mouvement de compassion bien naturel nous avait mis en position psychique de « désirer prêter de la vitalité » à cet être en danger. Mais ce fut aussi indéfini dans notre pensée qu'inconscient. Toujours est-il que nous sommes revenus à nos occupations en oubliant totalement cette histoire.
Au cours des mois qui suivirent, nous apprîmes que la femme était de nouveau malade, partie en province pour se soigner, et cela ne nous étonna point. On nous invita même, mais les obligations de Paris ne nous laissèrent pas le temps d'en envisager la possibilité — d'autant plus que pour notre compte, nous étions, à cette époque (1946), assez mal en point. Nous étions d'ailleurs atteintes d'une maladie qui dérouta les médecins, fait si fréquent que nous ne pensâmes pas même à nous en surprendre.
Après vingt-quatre radiographies et les traitements les plus variés, nous étions dans un état de fatigue extrême avec amaigrissement, insomnies, impression d'épuisement insurmontable, troubles digestifs. Cela allait de mal en pis, d'autant que les nécessités d'une vie très active nous interdisaient tout repos.
Les choses en étaient là et six bons mois s'étaient passés quand nous reçûmes des nouvelles de cette restauratrice à laquelle nous n'avions plus pensé : elle allait mieux, rentrait à Paris et désirait nous voir pour nous remercier. De quoi ? Nous n'en savions rien. Elle vint et nous dit : « je crois être sortie d'un mauvais pas et je viens vous remercier. Vous ne m'avez pas quittée. »
Comme nous ne comprenions rien à cette histoire, elle précisa que pendant toute sa maladie, elle n'avait cessé de nous voir sous une forme fantomatique plus ou moins diffuse, à la droite de son lit, jour et nuit. Son mari confirma que dans son sommeil et toute une période où elle avait déliré, elle n'avait cessé de s'adresser à un être invisible qui occupait toujours le même endroit près de son lit — autant qu'on en pouvait juger par la direction de son regard et sa mimique.
Cette histoire nous amusa beaucoup et nous la mîmes sur le compte d'un dérèglement de l'imagination dû à la maladie. Quelques semaines passèrent, puis nous eûmes l'occasion de rapporter, à titre de curiosité, toute cette histoire à un expert en psychisme. L'expert ne prit pas la chose en riant, mais assura au contraire que nous étions en grand danger. Sur ses conseils et selon ses directives très précises, nous fîmes tout ce qu'il fallait pour nous « dégager ».
Quelques jours après le début de nos exercices, nous apprîmes que la restauratrice était morte assez inopinément. Quant à nous, tous nos troubles digestifs cessèrent comme par enchantement et nous revînmes en deux semaines à notre poids habituel. Quant à notre rétablissement soudain, on peut invoquer l'auto-suggestion, mais quant au reste de cette histoire fâcheuse, elle semble constituer une expérience type que nous avons cru devoir rapporter.
Pour conclure sur un point de vue général, ajoutons que vraisemblablement, l'explication magique, l'explication métapsychique et l'explication psychologique (suggestion) de l'envoutement sont vraies à la fois. C'est-à-dire que, de même qu'en physique, la théorie atomique et la théorie moléculaire sont vraies à la fois — qu'en sciences humaines, l'explication psychologique et l'explication sociologique sont valables à la fois — de même la conception magique et les conceptions psychologiques de l'envoutement sont également valables.
La distinction ne résulte que de considérations systématiques différentes. Quant au choc en retour, nous n'avons pas la place de lui consacrer une étude séparée, mais en lisant les conditions du décès de la restauratrice dont nous avons rapporté l'histoire, le lecteur dispose d'un exemple qui lui permet toutes les hypothèses interprétatives.