Pourquoi voudrait-on codifier l'insolite, le mystérieux, le fantastique, comment pourrait-on en étudier le contenu, les origines, les influences, s'il fallait contenir ces notions dans le domaine subjectif de l'imagination ?
L'art et la littérature dits fantastiques et mystérieux en restent là la plupart du temps et emprisonnent dans des limites bien restreintes cet univers de l'étrange, insaisissable certes, mais étrangement réel. On est souvent tenté par le paradoxe, mais la vie, la réalité elles-mêmes, ne sont-elles pas un paradoxe ?
Si la plupart des hommes refusent de faire entrer l'insolite et le fantastique dans le cadre des lois de la nature, un cadre trop souvent limité, usuel, tracé une fois pour toutes, c'est bien parce que des phénomènes inquiétants viennent bouleverser leurs habitudes de pensée et mettre en doute leur logique coutumière.
L'insolite est en effet inséparable de la vie quotidienne, il y glisse partout sa poésie fugitive : poésie de douceur, de charme et de tendresse, ou poésie du drame et de l'horreur. Rencontrer dans la foule un ami perdu de vue depuis longtemps, se trouver face à un nain anormal et difforme, cela relève de l'insolite, mais aussi du réel.
Comme ces jeux du hasard, ces événements inexplicables nous gênent et nous agacent. Nous essayons, en les banalisant, de neutraliser des lois inconnues et inquiétantes. Et quand il devient impossible de “récupérer” l'insolite, de l'annexer au banal, au quotidien, au connu, nous tentons de sublimer nos craintes en le baptisant surnaturel : devant un médium en état de transe qui capte nos drames et exprime nos angoisses par télépathie, nous éprouvons la même superstition et le même effroi — au sens religieux du terme — que nos ancêtres en face de leurs pythies...
Et pourtant, le surnaturel n'existe pas. Rien, si ce n'est Dieu, n'est au-dessus de la nature ou au-delà de ses lois. Les fantômes, les maisons hantées, les tables tournantes, les fées et les “pouvoirs” que confère le yoga sont aussi de son domaine. On ne saurait y voir clair si l'on refuse a priori des phénomènes.
On passe ainsi de la dimension humaine à la dimension cosmique, de l'insolite au fantastique. Mais où est la frontière ? Les greffes du cœur du docteur Barnard relèvent-elles de l'insolite ou du fantastique ? Quand Apollonius de Tyane stoppe un cortège funèbre pour tirer de sa catalepsie une fausse morte, l'intervention paraît fantastique à la foule. Elle n'est qu'insolite
L'insolite a beau toucher au domaine de l'inconnu, il relève encore du quotidien, et de l'homme tel que le conçoit Alexis Carrel. Le fantastique, au contraire, toujours à grand spectacle, dépasse nos dimensions pour éclater dans le grandiose ou dans l'horreur. Marcher sur la lune n'est plus insolite, mais fantastique.
Contrairement à la fantaisie, le fantastique repose sur une base concrète, même dans le domaine subjectif de la vision hallucinatoire, où il prend pour support une anomalie cérébrale. Dans le cas de la psychiatrie, toutefois, il ne présente aucun intérêt : une exposition de peinture d'aliénés ou de chimpanzés en témoigne.
Tout change, en revanche, dès que le fantastique recoupe cette “mémoire de l'humanité”, inscrite dans notre hérédité et dans la mythologie comparée.
S'appuyant sur des fondements universels, le fantastique s'arroge alors le droit de contester l'ancêtre simiesque proposé par la science du siècle dernier (l'homme de Néanderthal) et de revendiquer l'ancêtre géant... Il se plaît à évoquer des probabilités ahurissantes admises par les anciens, auxquels revient à contrecoeur le savant : des humanités différentes, aquatiques, volantes, et les “hommes transparents” d'Hésiode, les dieux jaillis du cosmos... Il donne aux pyramides et aux menhirs une signification aussi dynamique que celle de Cap Canaveral !
Depuis la parution du Matin des Magiciens, l'insolite et le fantastique ont acquis droit de cité. Le public attendait d'ailleurs qu'on lui ouvre une porte sur la féerie cohérente, sur l'homme secret. Il fallait équilibrer d'urgence l'automatisation croissante et l'affadissement de la vie quotidienne.
L'insolite et le fantastique sont, depuis le déclin de la philosophie et de la religion, l'unique échappée qui puisse offrir des horizons plus vastes et plus exaltants à l'homme de la rue, anxieux d'échapper au rouage infernal et impitoyable d'une civilisation broyeuse d'âmes. Depuis dix ans, toute une littérature d'essais fait éclore un nouveau romantisme qui dépasse le plan des sentiments pour atteindre le spirituel.
À cette littérature, il manquait un code, c'est-à-dire un dictionnaire. Celui-ci n'a pas la prétention d'être complet. Il n'en représente pas moins un quart de siècle de recherches, d'expérience vécue, de voyages et de contacts avec des chercheurs “en marge”. L'auteur s'est attaché à écarter tout ce qui relève du banal, de la mythomanie ou de l'imposture. Et pourtant, ordonner cet univers mi-surréel était une gageure. Pour venir à bout de cette entreprise énorme, il fallait un esprit véritablement passionné.
En effet, comment s'orienter dans ce labyrinthe ? Comment y introduire une rigueur scientifique ? Il existait bien sûr un fil d'Ariane : l'étymologie justement ! Mais il fallait aussi transcender les étymologies latine, grecque et hébraïque, qui n'étaient pas sources mais seulement véhicules, pour remonter jusqu'à des racines très archaïques.
Jusqu'au XIXe siècle, en effet, avant que l'influence de l'Inde ne vienne introduire dans l'insolite et le fantastique sa terminologie sanscrite propre aux sciences du pays, tout se ramène finalement à l'égyptien. En fait, nos sciences insolites — occultisme, hermétisme, alchimie médiévale — ne sont que le prolongement pâli de l'énorme science accumulée durant des millénaires par l'Égypte.
Aucune civilisation ne poussa aussi loin les sciences de l'homme, surtout de l'homme insolite ou occulte. Et c'est l'influence directe de l'Égypte que nous avons reçue par le canal phénicien, hébraïque, grec et romain.
L'Égypte connaissait les mystères du sang et les rapports exacts entre la vie et la mort, ce qui explique l'anormale longévité de sa race. L'alchimie est née de sa science des divers états de la matière, et la perfection des pyramides traduit un savoir précis des relations secrètes de l'homme et du cosmos.
Le chat, enfin, est une création de l'Égypte et le chef-d'oeuvre de son art vétérinaire : cet animal sacré, conducteur de l'influx psychique humain, captait également une essence cosmique.
Des connaissances aussi vastes et aussi profondes ne pouvaient se perdre totalement dans les vicissitudes de l'histoire ; elles demeurent toujours la trame des sciences dites parallèles. Pour mieux les comprendre, l'auteur s'est astreint à la dure discipline du tantrisme, le yoga des moines thibétains, pierre angulaire des sciences occultes : magie, sorcellerie, yoga, parapsychologie...
Au-delà des étymologies égyptiennes — hellénisées, hébraïsées ou latinisées — il en est d'autres, franchement indigènes ou préhistoriques. Des sites insolites, comme Carnac en Bretagne ou Montségur ou Brocéliande dans la forêt de Paimpont, restent tributaires, par leur nom même et au même titre que la sorcellerie de campagne, d'une linguistique complexe remontant aux races de Brunn et de Cro-Magnon.
Derrière les langues dites agglutinantes (dont le basque est une survivance), se profile l'insondable mystère des runes imprimées déjà sur les monuments mégalithiques.
À ce propos, nous adressons nos vifs remerciements à deux linguistes éminents, Maurice Guignard et Robert de Largerie. Sait-on que le mot “fée”, par exemple, est d'origine runique ? Nous adressons aussi nos remerciements au journaliste scientifique Robert Frederick qui nous a aidés à jeter un pont à propos du tellurisme entre la science moderne d'avant-garde et la science intuitive des grands ancêtres.