— Éleusis (Mystères d') — Ces mystères eurent une célébrité et une influence considérables, ils furent le centre de la vie religieuse grecque et se poursuivirent du VIIIe siècle avant Jésus-Christ, jusqu'en l'an 396 de notre ère. L'État les protégeait, les poètes et les artistes les glorifiaient. Ils comprenaient différentes cérémonies initiatiques dont seulement certains aspects nous sont connus, parce qu'ils dépendaient d'un secret absolu qui fut respecté.
Cependant, à travers ce qui demeure incertain, il s'avère qu'ils se divisaient en deux parties :
1°) La partie orphique, qui avait pour centre Zagreus. Elle était célébrée dans un faubourg d'Athènes, à Agré, et s'appelait les « Petits Mystères ».
2°) La partie éleusienne, qui avait lieu à Eleusis, et qui avait pour centre les mystères de Demeter et Coré. Elle se nommait les « Grands Mystères ».
La première partie était la préparation qui procurait la palingenèse en Zagreus. Le néophyte devait obligatoirement s'y soumettre pour être admis à la seconde, et atteindre l’« époptéia », vision suprême qui couronnait son initiation.
Le mystère orphique est né du rite orgiaque et extatique du culte de Dionysos. On le prétendait importé en Grèce par le chantre Orphée de Thrace dont il garda le nom. On s'y soumettait à des exercices qui suivaient le mythe de Dionysos, fils de Zeus et de Séléné, remplaçant leur premier fils Zagreus que Zeus avait eu de Coré et qui fut tué et dévoré par les Titans. Il fallait s'y délivrer de sa nature titanique pour libérer sa seconde nature dionysiaque mêlée à l'âme.
Le contenu de ces mystères acquit un degré si élevé, qu'ils exercèrent une influence considérable sur de grands esprits comme ceux d'Eschyle, Pindare, Héraclite et Platon. Il fournit les éléments fondamentaux de la théologie de saint Paul (1). Nous en connaîtrions bien davantage si, en l'an 396 de notre ère, les moines d'Alaric n'avaient détruit les sanctuaires et tout ce qui en demeurait, à l'exception de la « Villa des Mystères », qui fut découverte en 1910.
Les fresques qui se développent au long des murs des différentes salles de cette villa permettent de suivre tout le rituel des mystères qui s'y célébraient, et de là, révèlent la forme même de l'initiation qui y était donnée. La disposition des locaux est celle d'un « bakchéion » orphique d'Athènes, découvert il y a quelques années. Elle comprend une grande salle d'initiation ou « Stibade » à laquelle on accédait après avoir célébré les sacrifices préparatoires dans d'autres plus petites pièces.
Il semble, d'après les fresques; que la Villa des Mystères ait été surtout un centre initiatique de femmes, puisque les sept panneaux qui la forment ont pour personnage principal une femme entourée surtout de femmes. Elle apparaît dans le premier épisode revêtue de la sindoue (voile rituel),
C'est l'opinion qu'expriment plusieurs historiens.
Éros lui présentant un miroir tandis qu'une autre figure d'Éros tient son arc tendu. Une prêtresse assiste à son engagement.
Dans le second tableau, elle s'approche d'un enfant nu chaussé de brodequins dionysiaques (embadès) qui lui lit un rituel, tandis que la prêtresse en garde un second non déroulé. Une femme apporte un plat pour le repas sacré.
Au troisième tableau, la néophyte, instruite, participe à la cérémonie du repas lustral. Elle est toujours revêtue de la sindoue, mais a la tête découverte et couronnée de myrtes.
Au quatrième tableau, a lieu la communion. Un satyre et une satyresse assis sur une plinthe l'attendent. Le premier satyre joue d'un instrument combinant la flûte et le syrinx et observe un faon qui allonge son museau vers la satyresse qui lui tend son sein. Un autre faon, attentif, l'attend.
On sait que Dionysos, enfant, fut transformé en chevreau par Zeus afin de le soustraire à la colère de Héra. Cette scène se complète par un Silène qui joue de la lyre, le visage extatique et le corps presque nu. Cette scène symbolise typiquement le mythe dionysiaque : l'afflux du lait, l'allaitement du faon par la bacchante ; la communion sexuelle et d'identification.
On a retrouvé, gravées sur les tablettes d'or enfouies avec les initiés à Sybarès, les paroles que le mort devait prononcer en apparaissant à Perséphone : « Moi, chevreau, j'ai trouvé le lait ». La cinquième partie est celle où la future initiée commence à vivre de la vie du Dieu, mais doit connaître encore une épreuve.
Un Silène tient un vase hémisphérique, en argent, dans lequel se mire un jeune homme. Mais le visage qu'il y découvre n'est que le reflet d'un masque grimaçant que tient un autre jeune Silène. Ce masque est celui de Dionysos torturé, et le jeune homme fixant le miroir magique voit s'y dérouler la vie du Dieu. Il assiste à la scène terrible où il fut mis en morceaux et dévoré par les Titans et, s'identifiant à Dionysos, il doit lui-même subir les mêmes tortures et suivre les phases du Dieu pour renaître avec lui. La néophyte, terrifiée, a un geste de recul, mais elle sait qu'elle doit elle-même subir la même passion, passer par cette mort mystique pour être digne de s'unir à Dionysos.
C'est cette union que symbolise le sixième panneau. Nous y voyons Dionysos à demi allongé contre Coré qui le tient contre sa poitrine, le pied droit déchaussé suivant le rite sacré, assistant sereinement à la flagellation infligée par une figure ailée qui porte un rituel à sa ceinture. C'est Téléné, la fille de Dionysos, qui opère l'initiation, tandis que deux prêtresses, dont l'une tient un vase de feuilles de pin, se tiennent à ses côtés.
La néophyte, qui vient de découvrir un énorme phallus dans une corbeille sacrée (Liknon), semble implorer Téléné qui, sans l'écouter, dresse la verge qui sert à la flagellation rituelle. Cette scène s'achève par le septième tableau, représentant l'initiée nue dansant, assistée par une prêtresse tenant un thyrse. Elle n'est plus une néophyte, mais une bacchante, ivre de joie, participant à la vie de Dionysos.
Les mystères d'Éleusis étaient faits pour exciter l'imagination des occultistes de bureau ; ils ont été l'objet d'une immense littérature. Plutôt que de nous faire l'écho de quelque « arrangement au goût du public », nous préférons laisser parler d'elle-même l'iconographie. Il faut prendre le rituel qui s'y trouve au pied de la lettre, car il ne fait pas de doute que l'initiation dionysiaque ait comporté le développement concret d'une série d'épreuves.
Mais il ne faut pas s'arrêter à ce fait : chaque épreuve correspond à un travail psychique intérieur dont le secret a dû être purement oral et dont la direction était confiée à des prêtres ou prêtresses initiés sachant exactement en quoi ii devait consister. On peut, sinon la décrire à coup sûr, du moins en deviner l'orientation générale. Si sa forme nous déconcerte un peu, c'est que nous avons perdu le secret des équilibrations harmonisantes et libératoires par le rite (voir Messes Noires).
Toute cette palingénésie centrée sur Dionysos correspond à une bonne moitié des besoins profonds de l'humanité. Elle est parallèle à d'autres initiations et c'est aussi grâce à ce parallélisme qu'il est possible d'en saisir le sens. Comme toutes les autres initiations, celle-ci mène à une Vie nouvelle ; comme toutes les autres, elle donne lieu à des sous-produits rituels qui tiennent lieu d'exutoire collectif ; et c'est ce dernier aspect que retient surtout l'histoire, plus avide de pittoresque que respectueuse de la plénitude qu'il cache.