— Merlin, Viviane et Mélusine —
Merlin était un enchanteur célèbre, un poète, un devin qui, selon la légende, aurait été le meilleur auxiliaire du roi Arthur et l'aida à fonder l'Ordre des Chevaliers de la Table Ronde.
Sa naissance demeure entourée de mystère, puisque certains le font naître en Angleterre tandis que d'autres dans l'île de Sein, d'autres encore dans la forêt de Brocéliande. Il y serait né au pied d'un chêne, d'une vierge et du diable lui-même. C'est là qu'on serait venu le chercher tout petit quand le roi breton Wortiegern, décidé à faire construire une tour, vit chaque pierre disparaître tour à tour bien mystérieusement. Selon l'avis d'un mage, il fallait sacrifier un enfant nouveau-né au pied de cette tour et arroser les fondations de son sang.
Ce fut Merlin qui fut choisi et conduit en ces lieux pour y être sacrifié. Mais, à peine l'avait-on déposé à terre, qu'il prit (bien qu'à l'âge de seize jours) la parole avec tant de sagesse que les magiciens présents en restèrent stupéfiés. Il leur indiqua, sous les fondations ensorcelées, la présence d'un lac, demeure de deux dragons ennemis, l'un blanc représentant les Saxons, et l'autre rouge représentant l'Angleterre. Le sol creusé, tout fut vérifié et ce fut la première prédiction de Merlin qui, délivré, frappa le sol et en fit sortir un grand oiseau blanc qui l'emporta dans les airs et disparut.
La légende des rochers qu'il fit transporter d'Angleterre et transmua en géants fait partie d'innombrables enchantements qu'on lui prête. Il possédait une épée flamboyante qui lui permettait de faire disparaître les tyrans, de tracer des cercles magiques qui préservaient ceux qui y entraient en le faisant instantanément disparaître, il s'en servait pour protéger les dames contre les courroux de leurs époux ou de leurs ennemis, etc... Il vivait lui-même dans la forêt de Brocéliande (En Bretagne), où il ne se nourrissait que de baies et d'herbes magiques, et c'est là qu'il rencontra un jour la fée Viviane dont il devint éperdument amoureux.
Viviane (ou Niniane, descendante de Nianis, roi des Assyriens) possédait elle aussi des pouvoirs étendus qu'elle tenait de son père, mais apprit de Merlin à tracer le cercle magique, qui les protégeait et les unissait pour toujours, à monter un cheval plus rapide que le vent qui les transportait tous deux dans divers lieux d'Europe. Un jour, où Merlin était poursuivi et n'avait pas son épée flamboyante, Viviane de sa baguette toucha un chêne immense qui devint à l'instant un palais de cristal. Ils y pénétrèrent tous deux, puis... le palais disparut et on ne les revit jamais.
De leurs amours, dit la légende, naquit Mélusine ou Merlusine, que certains disent fille d'Elénas, roi d'Albanie, et d'autres fille de la fée Pressine. Elle passait aussi pour la tige des Lusignan, ceci parce qu'on lui attribuait la fondation du château de ce nom, dans le Poitou. Un jour, dans une forêt de cette région, elle rencontra Raimondin, fils du comte de Forez, l'aima, en fut aimée et l'épousa. Elle eut de lui huit garçons, tous bien faits et qui auraient été admirablement beaux si une étrange disgrâce ne les avait tous touchés.
Vriam, l'aîné, avait un visage plus large que haut, un œil rouge et l'autre bleu. Odon avait une oreille démesurée. Guion avait un œil plus haut que l'autre. Antoine avait une griffe de lion sur la joue. Ren'avait qu'un œil qui voyait cependant distinctement à vingt et une lieues. Geoffroi avait une dent qui lui sortait de plus d'un pouce de la bouche. Froimond avait le bout du nez aussi velu qu'une taupe.
Le dernier... dont personne ne connaissait le nom, avait trois yeux dont l'un au milieu du front. La légende prétend qu'il se fit moine. Merlusine ou Mélusine vivait heureuse avec son époux et tout aurait été parfait si ce dernier, auquel elle avait fait jurer avant de l'épouser de ne jamais chercher à la voir le samedi, avait tenu parole. Car, chaque samedi, Mélusine était changée en serpent et retournait à la rivière où elle se baignait. Raimondin, que la curiosité dévorait, fit un samedi un trou avec son épée dans la porte de la chambre de son épouse et la vit sous sa forme serpentine. Surprise et désespérée... elle s'enfuit et ne revint jamais.
Pourtant, liée pour toujours au château de Lusignan, elle revenait, grand serpent sans bruit et sans voix, revoir encore l'antique demeure et, quand un malheur devait frapper la famille, ou qu'une mort était prochaine, elle l'annonçait par des cris perçants. Il existe encore en Basse-Bretagne, aux abords de la Vendée, des autels dans la forêt, dédiés à la fée Mélusine. Elle y apparaît quelquefois, dit-on, à la tombée du jour, aussi haute que les arbres de la forêt, blonde, de larges touffes de fleurs de chaque côté du visage, revêtue d'une longue robe mauve et entourée de cerfs et de biches. On croit dans la région que son nom gallois de Mélusine viendrait du bas breton Méliès et voudrait dire « la Femme Mélodieuse ».
La mythologie bretonne procède d'ailleurs d'une curieuse stratification. On sait qu'on attribue aux Celtes maints vestiges religieux qui datent en fait d'une époque bien antérieure au lx' siècle avant notre ère, date d'arrivée des Celtes en Gaule. De sorte qu'on ne sait pas jusqu'où faire remonter les origines de la légende arthusienne.
On sait seulement que le cycle médiéval d'Arthur a été précédé d'un cycle bien antérieur (Ve siècle) qui n'était probablement pas le premier. On y voit le magicien Myrddin (Merlin) au moins aussi puissant que le roi, détenteur de toute science et seigneur du pays des fées. En fait de Saint-Graal taillé dans une émeraude, la mythologie celtique n'en est qu'à la poursuite d'un chaudron-talisman, pourvu de vertus merveilleuses, objet de la convoitise des Dieux et demi-dieux divers et enjeu de luttes épiques.
Comme nous l'expliquons à propos des mythes (voir ce mot), un système mythique donné synthétise une conception inconsciente de l'univers. Dans la mesure où l'on peut parler d'un univers celte-gaulois, les prototypes correspondant à l'axe Merlin-Mélusine constituent une polarité fondamentale du patrimoine français de l'Ouest. Autrement dit, il serait insuffisant de ne voir dans la merveilleuse légende de Merlin qu'un attrait anecdotique : elle exprime une des lignes de forces de l'inconscient archaïque français de tous les temps.