— Serpent —Les jeunes filles de la Côte des Esclaves, destinées à devenir prêtresses doivent, entre autres rites, passer une heure dans un caveau très voûté et sous terre, en compagnie de deux ou trois serpents qui les épousent par commission, après quoi, elles sont rappelées sous le nom de « femmes du grand serpent » qu'elles continuent de porter toute leur vie.
Dans ce rite, on voit le serpent dans son rôle d'époux sacré, c'est-à-dire la forme sublimée de la sexualité. Mais, dans d'autres légendes, pratiques ou mythes, il apparaît dans des rôles dérivés qui dépendent du degré d'évolution des peuples ou civilisations qui en emploient le symbole.
Que le serpent soit d'abord un symbole phallique, c'est évident. La Tradition le fait pressentir, le mythe du serpent du Paradis terrestre le laisse transparaître. La tradition hindoue le dit explicitement. Mais il est intéressant de suivre la filiation des sens différents du serpent à partir de cette valeur initiale que la psychanalyse confirme d'une manière expérimentale.
Le serpent Ouroboros est une autre forme de la Mulaprakriti, qui entoure le Koïlon, le monde ; c'est le fluide universel. Mais sur le plan de la vie, le serpent devient à la fois le principe divin de la vie, qu'on appelle élan vital, libido, ou de tout autre nom, et témoignage de ce principe divin. A ce titre, il est le serpent en lequel s'est transformé le bâton de Moïse pour témoigner de la présence de l'Eternel aux jours du Pharaon. C'est aussi le serpent d'airain que Moïse élève au désert, bien qu'en un autre sens.
Du principe, le serpent passe sur le plan manifesté. La libido passe par la phase de la vie sexuelle ; puis, inondant la Vie Humaine de son principe central, elle parcourt les étapes que l'Inde assigne au serpent Kundalini. D'abord enroulé derrière le pubis, Kundalini va, en se développant, vitaliser et consciencialiser tous les shakras, jusqu'à donner la Sagesse Suprême et l'Union en Dieu.
Au cours de cette aventure, la force primordiale va être l'occasion de bien des échecs, à telle enseigne que bien peu nombreux sont ceux chez qui la sublimation s'opère jusqu'au bout ou même en partie. Le premier écueil que rencontre l'homme est celui de la rupture nécessaire avec le plan animal. Le serpent, symbole sexuel, devient le tentateur, qui veut inciter l'homme au péché de la chair pour le tenir à sa merci en l'empêchant d'accéder à la Connaissance de Dieu. Précisons que ce sens est faux.
S'il a été toléré en fait, favorisé même par certaines exégèses orales de l'Histoire Sainte, c'est parce que l'obsession sexuelle a ravalé le symbole judéo-chrétien au niveau des clefs des songes pour concierges. La tentation est bien opérée par le serpent, mais à un tout autre étage, et la Bible l'exprime explicitement. L'enjeu de la tentation est l'arbre qui se trouve au milieu du jardin où coulent quatre fleuves. Ce point central érigé dans l'espace à l'intersection d'une croix, c'est l'Esprit (voir au mot Croix). C'est une tentation parce que le serpent (Satan, dans cette tradition) ne propose pas à Adam (par Eve) de manger l'arbre, mais ses fruits.
La grande tentation est en effet de ne pas aimer l'action pour elle-même, mais pour ses fruits (le désintéressement des fruits de l'action du Bhagavat Gita), de ne pas aimer l'esprit des choses pour lui-même, mais d'aimer les choses pour soi. Cet intérêt aux choses porte un autre nom : c'est l'intérêt intellectuel, la trahison de la lettre, l'esprit d'analyse et non l'amour de l'esprit. L'esprit d'analyse et son cercle vicieux est d'ailleurs représenté par l'image stérile du serpent se mordant la queue. Le cycle vain est le péché majeur à ce niveau ; il engendre l'orgueil qui en est la traduction en termes de morale.
Au contraire, le serpent spiral du caducée a le sens d'une évolution dénouée. Par incidence, signalons que le serpent manifesté est un symbole masculin et viril ; en voie d'évolution, il est au contraire féminin (la Kundalini). Le serpent unique du Caducée correspond à la tresse de cheveux de femmes qui s'enroule autour du Calumet de la Paix (voir Caducée).
Le double serpent est enroulé en huit, symbole de l'Infini ; les têtes sont au niveau des ailes du caducée. La Réalisation fait de la Force primordiale, un lieu de passage à travers le plan de l'homme. A un autre point de vue, Mercure est le déplacement, qui implique le Temps.
Et le temps, donc le vieillissement, est la condition inéluctable du progrès de Kundalini. Une des formes de la tentation est de vouloir l'éternité du moi — incompatible avec le progrès et apparentée au cycle stérile du mental analytique sans fin.
Cette tentation du temps est symbolisée par la très belle légende gréco-latine du serpent rachetant à l'âne la vie éternelle contre une gorgée d'eau (voir au mot Ane).